“Kool Thing,” sorti en 1990, est l’un des morceaux les plus emblématiques de Sonic Youth. Émanant de leur album Goo, il capture l’essence du mouvement alternatif et de la culture underground en pleine mutation vers une visibilité plus large. Ce morceau est une critique incisive de la société patriarcale, teintée d’une ironie acérée, le tout porté par le chant hypnotique de Kim Gordon. Ce titre a marqué un tournant pour Sonic Youth, qui flirtait alors avec le mainstream après des années à définir l’avant-garde noise rock. Le choix de collaborer avec Chuck D de Public Enemy pour un spoken word percutant ajoute une dimension culturelle unique, symbolisant une collision entre deux mondes : l’indie rock et le hip-hop contestataire.
Contexte historique et culturel
En 1990, Sonic Youth sortait Goo, leur premier album sous le label major Geffen Records, un geste qui suscita une certaine polémique au sein de la scène underground. Ce passage à une major marquait une tension entre leur esprit DIY et la promesse d’atteindre une audience plus large. “Kool Thing” s’inscrit dans cette dynamique : il conserve la dissonance et la radicalité de leurs précédents travaux tout en s’aventurant vers une structure plus accessible.
Le morceau s’inspire d’une interview entre Kim Gordon et LL Cool J, qui mit en lumière des tensions de genre et de pouvoir. Gordon y exprime une frustration face au machisme persistant dans le hip-hop et au-delà, tout en embrassant l’ironie et la provocation. À une époque où le grunge commençait à émerger et où les genres alternatifs gagnaient du terrain, “Kool Thing” devenait un manifeste contre la domination masculine dans la musique et la culture populaire, tout en jetant des ponts vers des genres voisins.
Analyse des paroles et des thèmes
Kim Gordon mène le morceau avec un mélange de sarcasme et de défiance. Les paroles explorent les dynamiques de pouvoir entre les sexes et l’ambivalence face à des figures masculines iconiques :
“I don’t wanna, I don’t think so, I don’t wanna, I don’t think so.”
Ces lignes répétées, minimalistes et directes, traduisent un rejet ferme des attentes imposées. Dans le refrain, elle interroge :
“Hey Kool Thing, tell me what you like / Does it make you feel alright?”
Le “Kool Thing” est une figure symbolique : il pourrait représenter LL Cool J, mais aussi une caricature des hommes dominants et cools, séduisants mais imprégnés de condescendance. L’intervention de Chuck D – une voix grave qui scande “Fear of a female planet” – amplifie le message féministe, détournant le slogan de Public Enemy Fear of a Black Planet pour le réinscrire dans un discours de genre.
Analyse musicale et stylistique
Musicalement, “Kool Thing” mêle des éléments noise rock à des touches plus mélodiques, un compromis parfait entre l’avant-garde et le rock alternatif grand public. La guitare de Thurston Moore et Lee Ranaldo oscille entre des accords dissonants et des riffs tranchants, soutenue par une rythmique simple mais efficace de Steve Shelley. Le morceau repose sur un groove hypnotique, presque dansant, une approche plus directe que les expérimentations bruitistes habituelles de Sonic Youth.
Les influences punk et no wave restent palpables, mais on décèle aussi une volonté d’incorporer des éléments plus accessibles, probablement influencée par leur transition vers un label major. Les breaks instrumentaux, remplis de feedback contrôlé, sont une signature du groupe, rappelant leurs racines dans l’improvisation bruitiste tout en ajoutant un rythme qui attire l’oreille.
Réception dans l’underground et impact
À sa sortie, “Kool Thing” fut salué comme une déclaration audacieuse dans la scène alternative. Si certains fans hardcore de Sonic Youth déploraient leur association avec une major, d’autres célébraient leur capacité à conserver leur intégrité artistique tout en atteignant un nouveau public. Le clip vidéo, réalisé par Tamra Davis, est un collage visuel vibrant qui mêle des références pop et art punk, renforçant leur statut d’icône culturelle.
Le morceau a inspiré de nombreux artistes, notamment des figures féminines de la scène alternative comme Courtney Love ou Kathleen Hanna, qui voyaient en Kim Gordon une pionnière du féminisme dans le rock. Aujourd’hui, “Kool Thing” est souvent revisité pour son rôle précurseur dans l’intersection entre la critique féministe et la musique alternative.
Anecdotes et détails
- Lors des sessions d’enregistrement, Chuck D n’était initialement pas prévu pour apparaître sur le morceau. Kim Gordon l’a invité après une conversation sur l’importance des collaborations entre genres musicaux.
- Le morceau a été utilisé comme bande-son dans plusieurs films et documentaires sur la culture alternative, renforçant son aura intemporelle.
- La pochette de Goo, dessinée par Raymond Pettibon, illustre parfaitement l’esprit du groupe : un art brut et ambigu, à la croisée du punk et du surréalisme.
Conclusion synthétique et vision actuelle
“Kool Thing” reste une œuvre essentielle pour comprendre la collision entre la culture underground et le mainstream au tournant des années 1990. Il incarne le féminisme incisif de Kim Gordon, la radicalité sonore de Sonic Youth, et une volonté de confronter des questions de pouvoir et de genre qui restent pertinentes aujourd’hui. Pour une nouvelle génération, ce morceau continue d’être un rappel puissant de l’importance d’interroger les normes, même dans les espaces créatifs.
Fiche technique :
- Titre : Kool Thing
- Artiste : Sonic Youth
- Album : Goo
- Année : 1990
- Durée : 4:06
- Genre(s) : Noise rock, rock alternatif
- Producteur : Sonic Youth, Nick Sansano
- Label : Geffen Records