Du rock à la trance
Lorsqu’on évoque The Velvet Underground, il est difficile d’ignorer leur rôle de pionniers dans la contre-culture musicale des années 60. Avec What Goes On, extrait de leur troisième album (The Velvet Underground, 1969), le groupe opère un virage stylistique, délaissant en partie les abrasions soniques des premiers opus pour une esthétique plus mélodique et introspective. Pourtant, ce morceau n’en demeure pas moins une célébration de l’énergie brute et répétitive qui les caractérise, incarnant leur essence à la croisée du rock’n’roll classique et des expérimentations avant-gardistes. Ce titre cristallise l’âme d’une époque en pleine effervescence créative tout en affirmant une place unique au sein de l’underground.
Contexte historique et culturel
À la fin des années 60, la scène musicale est en pleine mutation. Le psychédélisme domine, porté par des groupes comme The Beatles, Pink Floyd, ou The Doors. Mais The Velvet Underground, sous l’égide de Lou Reed et de John Cale (même si ce dernier a quitté le groupe juste avant cet album), s’écarte résolument des chemins tracés. Nés dans l’agitation artistique new-yorkaise et soutenus par l’icône du pop art Andy Warhol, ils se sont imposés comme les chantres d’un rock urbain, cru et sans concession.
En 1969, le groupe évolue : Doug Yule remplace Cale, apportant une touche plus mélodique. Leur maison de disques, MGM, souhaite aussi un son moins radical. Ce contexte marque What Goes On comme un équilibre entre l’urgence garage rock et une sophistication nouvelle. Dans un monde obsédé par l’évasion psychédélique, The Velvet Underground choisissent de rester ancrés dans la réalité brute des nuits new-yorkaises.
Analyse des paroles et des thèmes
Les paroles de What Goes On sont remarquablement simples, presque méditatives, et jouent sur une répétition hypnotique :
“What goes on in your mind?I think that I am falling down…”
Ce refrain introspectif, répété comme un mantra, capture un sentiment universel de confusion et d’aliénation. Loin des récits délirants du psychédélisme, Lou Reed offre ici une réflexion plus personnelle, dans une veine presque existentialiste. Les paroles ne cherchent pas à expliquer ou résoudre, mais à observer, un peu comme la poésie beat de Kerouac ou Ginsberg.
Cette simplicité s’accorde avec l’approche minimale du groupe. Plutôt que d’étourdir l’auditeur par des effets lyriques ou des métaphores luxuriantes, le morceau repose sur une honnêteté brute et directe qui résonne profondément dans l’underground.
Analyse musicale et stylistique
Musicalement, What Goes On est une transe rock’n’roll construite autour d’un riff simple mais irrésistiblement dynamique. La rythmique mécanique et implacable, soutenue par les percussions et l’orgue de Doug Yule, génère une énergie qui semble ne jamais vouloir s’arrêter. Ce morceau est un exemple brillant du drone rock, une esthétique que le groupe a perfectionnée, héritée des travaux de John Cale avec La Monte Young.
La guitare rythmique de Lou Reed, nerveuse et vibrante, rappelle les origines du rock’n’roll des années 50, mais avec une intensité urbaine et répétitive qui annonce déjà le krautrock (Neu!, Can) et, plus tard, le post-punk (Television, Joy Division). L’orgue, insistant, ajoute une texture unique qui semble flotter au-dessus du reste, créant une atmosphère à la fois euphorique et oppressante.
Réception dans l’underground et impact
À sa sortie, The Velvet Underground souffre encore d’un relatif anonymat, éclipsés par les mastodontes de la contre-culture mainstream comme Jefferson Airplane ou Grateful Dead. Mais dans les cercles underground, What Goes On devient rapidement emblématique. Le morceau incarne parfaitement le paradoxe du groupe : accessible par sa mélodie, mais résolument subversif dans son approche.
Dans les décennies qui suivent, What Goes On influence une myriade d’artistes. Des groupes post-punk comme The Feelies ou Sonic Youth empruntent cette répétition hypnotique, tandis que des artistes indie comme The Strokes ou LCD Soundsystem citent fréquemment The Velvet Underground comme un modèle. L’empreinte du morceau est aussi visible dans l’éthos DIY, célébrant l’idée qu’un bon morceau n’a pas besoin d’une production fastueuse pour captiver.
Anecdotes et détails
Une anecdote fascinante sur What Goes On réside dans sa performance live. Durant les concerts de l’époque, le groupe transformait le morceau en une longue jam extatique, parfois dépassant les 10 minutes, avec un Lou Reed particulièrement prolifique sur la guitare. Ces moments prolongés soulignaient l’influence de la scène expérimentale new-yorkaise, où musique, performance et art se croisaient librement.
Un autre détail intéressant : cet album marque le début d’une rupture progressive entre Lou Reed et le reste du groupe. Bien que Doug Yule ait contribué à un son plus doux et harmonieux, la tension créative entre les membres allait bientôt faire éclater cette incarnation de The Velvet Underground.
Conclusion synthétique et vision actuelle
What Goes On est une démonstration éclatante de la manière dont The Velvet Underground ont transcendé les attentes. Ni purement avant-gardiste, ni strictement rock’n’roll, le morceau incarne un équilibre unique qui continue d’inspirer des générations de musiciens. Aujourd’hui encore, il résonne comme un hymne intemporel pour ceux qui cherchent à capturer l’essence de l’underground : une répétition envoûtante, un regard lucide, et une énergie brute.
Fiche technique
- Titre : What Goes On
- Artiste : The Velvet Underground
- Album : The Velvet Underground
- Année : 1969
- Durée : 4:52
- Genre(s) : Rock alternatif, proto-punk, drone rock
- Producteur : The Velvet Underground
- Label : MGM